David Le Golvan

Pour en savoir plus sur l’auteur et son œuvre. Les éditions Sans Crispation proposent de réinventer
le questionnaire proustien !

Sans Crispation : Comment vous tenez-vous informé : par le biais de la télé, des réseaux sociaux, en écoutant la radio ou en lisant le journal ? 
David Le Golvan : Honnêtement, pour ne pas me tenir déformé, je préfère ne pas me plonger dans ces trucs, un peu trop gadgets à mon goût, en reprenant une formule de Debord. Evidemment pour écrire le genre de mes bouquins, en grande partie « réalistes » (si on écarte l’allégorique présent à proportion égale), je suis obligé de papillonner entre ces spectacles-performances de la « pensée » (rires) dans l’idée de mettre ça en perspective avec des lectures d’essais plus substantiels mais certainement pas essentiels. Surtout, surtout avec la vie, les êtres vivants, pas les schématiques, le rapport aux autres, leurs mots, leurs émotions, leurs vérités. On me fait toujours les gros yeux quand je sors cette phrase de Philippe Murray : « (…) regretter qu’il n’existe pas de bon journalisme, c’est comme regretter qu’il n’y ait pas eu de bon nazisme. » Oui, je sais, c’est exagéré, d’une mauvaise foi terrible comme devait l’être ce vieil anar de droite qu’est l’auteur, mais c’est justement sa provocation qui me plaît dans tout ça, sa désacralisation radicale contre l’auto-sacralisation… Il y en a évidemment de bien, des journalistes (ni à la télé, ni à la radio pour moi, ils se caricaturent automatiquement devant micros).

Imaginez ce que votre auteur préféré écrirait sur votre œuvre ?
« Il y a quelque chose de fuyant, jusqu’à en être agaçant chez Monsieur Le Golvan. Un détachement permanent sous le prétexte d’un scepticisme radical qui penche vers une sorte de morbidité larvée et chronique à la fois (on ne peut pas dire que son style s’encombre d’émotions… je n’en vois nulle trace…), une ironie mélancolique qui m’exaspère parce qu’on est en droit d’attendre autre chose de lui, de plus lumineux comme, dit-on, il sait l’être dans la vie. Monsieur Le Golvan serait une sorte d’Erik Satie de la littérature. Une écriture claire qui force dans le fil de l’écriture l’écart, la dissonance, le malaise. Je soupçonne l’auteur de n’avoir jamais su se mettre en colère et de lâcher la bonde par le biais de l’écriture. Je le soupçonne encore plus d’une sorte de protestantisme dans la pensée. Il aurait pu porter l’habit d’un très bon pasteur à défaut d’endosser celui de l’académicien, s’il n’avait pas eu cette carrière exemplaire en littérature. ». J-K Huysmans (période catholique. Donc incapable de me comprendre)

Un endroit et un moment préférés pour écrire ?
Ma capsule de cinq mètres carrés à l’étage de ma maison, avec une vue sur la cime des arbres, le nid d’un vieux couple de pies et la lune qui viennent s’inscrire dans ma lucarne. Surtout le casque sur les oreilles à enchaîner des albums sélectionnés et adaptés à chaque état d’esprit, chaque chapitre… C’est très souvent la musique qui m’inspire, qui me souffle les images aux oreilles bien plus que mes lectures d’ailleurs, plus souvent du moins. « For here am I sitting in a tin can /Far above the world… » comme le chantait « Major Tom» Bowie.

Dans quelle mesure, “Brutalisme”, c’est vous (ou pas) ? 
J’ai essayé de projeter Rodolphe, le personnage central de Brutalisme, le plus loin de moi, comme une sorte d’inversion de reflet. Je lui ai mis dans sa vie et dans sa tête tout ce qui m’était étranger : l’architecture, domaine qui est très éloigné de mes goûts, que je me suis mis à découvrir à travers des lectures préparatoires. J’ai voulu creuser le pourquoi de cette distance avec ce sujet qui n’a rien d’inintéressant, au contraire. Evidemment, il fallait refaire le chemin en arrière, partir de mon propre ressenti sur le fait d’habiter un espace, un espace collectif, semblable à ceux de trente ans de vie par exemple, y trouver sa place, y trouver à un moment l’expression d’une solitude nécessaire. Effet boomerang inévitable. Pas si agréable en fin de compte d’entrer dans la peau de cet homme, victime de sa « vocation ». Il a fallu me mettre encore plus à distance que pour mes autres romans, me protéger contre son penchant à l’autodestruction. Expérience intéressante mais plombante en gros. J’aspire à un peu plus de légèreté. Ce sera le cas dans le prochain avec un personnage qui me ressemble plus… moralement douteux quand même… ce qui n’est pas mon cas… je crois.

Un personnage que vous détestez en littérature ? 
Tous ! Trop envahissants. A la fin de la journée, ils me sortent par les narines. Déformation professionnelle peut-être, je ne les distingue pas par des sentiments, bons ou mauvais, envers eux. Plus sérieusement, comme dans mes bouquins, ils me servent de prétextes à penser l’Homme plus généralement. Comme ça, sans trop pouvoir justifier, il y a peut-être le Caligula de Camus qui me sort un peu par les yeux. Œuvre de jeunesse, révolte mièvre. Bovary aussi, même si elle m’amuse autant que son créateur. Etrange d’ailleurs, cette manie actuelle d’en faire un parangon de liberté…

Si vous étiez un personnage, un mot, une phrase de votre roman/recueil lequel seriez-vous ?
J’aime bien ma trouvaille sur « Le Grand Bousier » qui sert de métaphore sur la fin de parcours de Rodolphe. Hommage pas très flatteur à Monsieur Jeanneret. En même temps, ayant lu deux ou trois de ses essais, je n’ai pas senti une affection particulière pour le bonhomme, bien moins en tout cas que pour certaines de ses créations. J’ai vu la Cité radieuse à Marseille et le Couvent de la Tourette ; ça reste assez remarquable évidemment. Mais l’architecture n’est qu’une sorte de toile de fond du roman, importante mais pas exclusive.

Que dit votre ouvrage de votre monde, du monde en général ? 
Il dit une représentation du monde, prise sous un angle particulier, un angle que je considère comme mort bien souvent dans la production actuelle, soucieuse d’exigence documentaire et journalistique. Pas de quête de vérité du monde ou autre effet de fanfare de ce genre. Il dit le glissement progressif dans le mensonge de tout un chacun, je pense, à un moment de sa vie. Mais tout un chacun s’en sort à un moment, refait surface, de lui-même ou par l’intermédiaire d’un autre, d’un proche. C’est la « vraie » vie, au moins celle à laquelle il est préférable d’accéder et c’est tant mieux ! Mais je ne vois pas pourquoi le roman devrait se plier à cette direction obligée, d’où mon incompréhension devant la littérature de ce siècle. Mon projet romanesque consiste à maintenir la tête de mes personnages sous l’eau et qu’ils se mettent à y respirer le plus naturellement possible. S’enfoncer, s’envaser dans un mensonge qui deviendra une nouvelle partie d’eux-mêmes, leurs branchies, une nouvelle identité. Sûr que cela ne les amènera pas automatiquement vers un happy end… mais bon, tant que nous les regardons faire…

Quel a été le passage le plus difficile à écrire ? 
Le monologue d’imploration de son épouse avant la rupture. Pas sur le plan stylistique en fait, mais sur la tension et le désespoir qu’elle essayait de contenir pour tenter de le ramener à elle. Je pensais aussi aux gosses qui étaient derrière (dont on entend d’ailleurs jamais la voix…) et qui vont s’écarter de ce père qui les a aimés. Une moitié du livre, de mémoire, a été écrite dans le salon pour mettre à distance ce type qui s’isolait jusqu’à l’extrême. Sans me la jouer Jack Torrance dans Shining, je trouvais ça plus sain ! C’est la rédaction de Brutalisme qui m’a orienté vers autre chose que le roman noir, quelque chose de plus proche de ma personnalité. Sachant que je ne lis jamais de romans noirs ou quasiment, encore moins des polars…

Si vos personnages étaient des émotions, laquelle seraient-ils ? 
Ouh ! La question innocente mais qui tue, l’air de rien ! J’ai dû avoir une atrophie (une ablation ?) d’une partie de l’hémisphère droit du cerveau, siège de l’émotion, que j’ai transmise à mes personnages. Peut-être en verrais-je une, mais à la loupe, et parce que je suis l’auteur, c’est plus simple, je connais un peu mes petits pantins : l’angoisse. C’est une émotion, ça ?

Conseilleriez-vous votre livre à Emmanuel Macron, à un autre homme politique (lequel ?) ?
Je lui aurais bien conseillé mon premier édité La Rondette sur la recherche désespérante d’un amour de jeunesse. Manifestement, il a mis la main dessus : trop tard… Je ne lui souhaite pas la toute fin de Rodolphe, je ne la souhaite à personne. Mais s’il pouvait accomplir rien que la moitié de son introspection, il gagnerait en humilité. Et il n’y a pas que lui qui en sortirait gagnant…

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